By Fanny, le 21 Septembre 2017


DE AREQUIPA AU CANYON DEL COLCA

3 heures du matin, donc.

On s’active tous les deux sur les réseaux sociaux et par messages pour avoir des nouvelles du front. Les premières nouvelles sont bonnes, tout ce petit monde semble plutôt décontracté. Maman me parle de vents à 170 km/heure et je cite : “de la rigolade, quoi!”. Les copains coté Corbel sont plutôt détendus aussi, tout le monde blague à son habitude, c’est plutôt rassurant.
On se connecte sur la caméra live de Gustavia – Saint-Barth – pour avoir un aperçu en direct. On voit des images d’“Hector”, le palmier en premier plan, rebaptisé pour l’occasion sur Twitter et autres. On se dit tous, aux quatre coins du monde : “allez Hector, tu dois tenir! Si toi tu tiens, c’est que ça va aller ».
Le cocotier « Hector », mascotte de Gustavia, Saint-Barth, pendant Irma
… Et puis, vers 5h30, tout s’emballe. En à peine dix minutes, le compte rendu Saint-Martinois est beaucoup plus sérieux, angoissant. On comprend que les vents se renforcent, et vite. Le dernier message du Lot 14 les Terrasses de Cul de Sac, le fief Hamel, tombe : “Julien renforce la porte du studio. De l’autre coté de la maison, c’est le chaos”. Et puis tout s’arrête. Plus de connexion, avec personne. La caméra de Gustavia s’écroule, elle aussi.

On se doutait bien qu’on allait finir par être coupé d’eux. On le savait, et on l’appréhendait. Mais le fait de terminer les instants de communication en sentant leur angoisse est terrible. A noter que le repli au studio était la solution de secours, si les choses tournaient mal dans le reste de la maison. Et à noter aussi que, il est moins de 6 heures du matin, et que l’oeil du cyclone n’est même pas encore passé sur l’ile. Le pire est donc à venir. 

Je passe mon temps à réactualiser la page de SXM cyclone, qui elle, ne s’actualise pas. On cherche des informations. On veut savoir où ça en est, désespérément.

Quelques minutes plus tard, Facebook révèle les premières vidéos et images (on se demande encore comment) de l’état des lieux au moment de l’accalmie des vents, provoquée par le passage de l’oeil sur notre paradis… Déjà plus que détruit.
La prefecture a explosé. Le Beach Plaza hôtel aussi (les videos sont évocatrices). La Marina Royale de Marigot est déjà presque inexistante.

Great. Perfecto. Génial. 
Pas de panique, vous dîtes?

7h. 8h. La deuxième phase, plus terrible encore, avec des vents opposés et plus puissants (comment est-ce possible?!), commence.

Et là, on attend.
Attendre. Le mot prend tout son sens. Déjà pas patiente de nature, cette journée a été la plus longue de toute ma vie. Attendre. Encore, et encore. Sans savoir, mais en imaginant le pire. Car le pire est là ; et encore, on ne peut même pas mesurer à quel point le pire… est pire que ça. Car nous, on n’est pas là bas. 

PAS. LÀ. BAS.

NOUS, ON EST AU PEROU
Sur la route du Canyon Del Colca, direction Belmond Las Casitas, hôtel du groupe pour lequel je travaille.
Le road trip est fabuleux. Chaque kilomètre que l’on parcourt est époustouflant. Comment Mère Nature peut-elle être aussi belle, et aussi cruelle à la fois? Comment peut-elle être aussi paisible et violente à quelques miles de distance?

On passe de l’émerveillement aux larmes (pour ma part), du silence à la crise de panique, de la beauté du paysage à la terreur des images de chez nous, de la confiance à l’incertitude. L’incertitude qu’ils soient encore en vie.

Je peux maintenant dire que je sais. Je sais ce que ça fait d’attendre. Attendre un coup de fil, un texto, un message qui dit : “ils vont bien”. Car ils doivent aller bien. Ca ne peut juste pas être autrement.
Après 4 heures de route, sans s’arrêter ou presque, car trop pressés d’arriver pour en savoir plus, on s’installe au Belmond Las Casitas, à coté du village de Chivay, au fin fond du Canyon. L’équipe nous accueille gentiment malgré que l’on se pointe à l’improviste. On se sert les coudes entres collègues Belmond! … Surtout quand ils comprennent la situation.

Nous buvons notre “coca tea” tout en s'activant au téléphone. Certains ont eu des nouvelles, mais la plupart n’en ont pas. Par contre, nous visualisons de plus en plus d’images de l’île. Enfin, de ce qu’il en reste. 
Les médias disent que 95% du caillou est dévasté. On ne peut en douter. 
Les heures continuent de défiler, et nous n'avons toujours aucune nouvelle de tous les habitants de Cul de Sac. 
Aucune nouvelle, aucune image. Rien.

Les Petrelluzzi & les Spijkerman vont bien à Grand-Case. Les Leducq aussi, coté Anse Marcel. Les copains de la Baie Nettlé, Simpson Bay, Marigot… C’est OK. Mais Cul de Sac, rien.

Dans un premier temps, on se rassure tant bien que mal. « Pas de nouvelles, bonne nouvelle! » Right? 
Il ne s’agit que d’un souci “technique” & “géographique”... Hein?
... Et puis nous apprenons que tout le bas du quartier a disparu de la carte et que les collines sont dévastées. Peu de maisons auraient tenu.

Ring! 🔔
Notre commande room service est livrée (premier repas de la journée). 
Et moi, je vais vomir. Soit sur le serveur, soit sur ma soupe de poulet. Soit sur les deux.

Heureusement, c’est à peu près à ce moment qu’un ami m’écrit :

"

Fanny, j'ai des nouvelles. Ils vont bien.
Voilà. C’est tout. Je n’en demandais pas plus. Les trois mots les plus beaux et les plus réconfortants du monde.

Nos coeurs ont connu la plus vertigineuse des montagnes russes, et nous sommes tombés, en sanglots, dans les bras l’un de l’autre.

ILS VONT BIEN, BORDEL. ILS VONT BIEN. ON N’A PLUS RIEN. MAIS ILS VONT BIEN.
Sur ces belles paroles, nous nous sommes couchés, vidés. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, nous avons dormi. Pour la première fois depuis 72 heures.


Quoi d'autre ?

TOUT EST LÀ