Le 10 Novembre 2017


RETOUR SUR L'ÎLE

20 Octobre : les roues de l'American Airlines se posent lourdement sur la piste de Juliana Airport. Ça y est, nous sommes de retour à la maison.

La boule au ventre et l’excitation se partagent le terrain et nous débarquons directement sur la piste, comme au bon vieux temps. Nous nous dirigeons vers une tente blanche multi-fonction (récupération des bagages, douanes, et immigration) hissée pour l’occasion.

Ça y est, nous sommes de retour à la maison. Saint-Martin, St. Martin, SXM, SM, Sint-Maarten, St. Maarten, Soualiga, the Friendly Island ; peu importe. C’est LA MAISON.

Maman nous attend de l’autre côté de la tente et c’est presque irréel de pouvoir ENFIN la serrer dans mes bras.

Nous nous dirigeons vers le X-Trail cycloné de Papa (seule voiture en “état de marche”) et c’est parti pour une traversée de l’île qui s’annonce émouvante. On reste dans le registre des émotions partagées entre la hâte et la peur de découvrir l’ampleur des dégâts par nous même. Maho (le Casino Royal peut reposer en paix), les Terres Basses (pas le temps de s’arrêter à La Samanna), Baie Nettlé (CHOC), Marigot (pas beau), la Savane (pas trop mal), Grand-Case (et sa nouvelle décharge), Hope Estate (au revoir Simply Market, c’était un plaisir)…

Et puis Cul de Sac, qui détient haut la main la palme du quartier le plus dévasté. On ne compte plus les bâtiments éventrés, les voitures en miettes sur le bas côté, les toitures arrachées, les bateaux encastrés dans les maisons…
Nous faisons un bref stop à l’embarcadère de Cul de Sac, lui aussi devenu une décharge colossale. C’est comme si Caribbean Paddling n’avait jamais existé. Plus rien. Pas un morceau de deck, pas un bout de bois, les poteaux installés à 1,50 mètres de profondeur dans le sol ont disparu eux aussi. C’est à peine si on arrive à situer l’emplacement de la multinationale tellement tous les repères ont été effacés. La nature a repris ses droits et remis les compteurs à zéro. Bref, on verra ça plus tard.
Direction le Lot 14 les Terrasses de Cul de Sac, la maison des parents. Enfin, ce qu’il en reste… Et encore, maman précise que c’est maintenant BEAUCOUP mieux que ça ne l’était avant les nombreuses heures de déblayage-poubelle-nettoyage.
Le nouveau portail!
Anyway, ça fait trop plaisir de revoir Papa et bébé Jazz!! On dépose les valises en vitesse et on file vers Orient Bay pour constater cette fois-ci l’état de notre maison à nous avec Mr. Oswen Corbel comme propriétaire des lieux. Lorsque Papa dévisse la sécurité installée sur la porte d’entrée, on n’est plus trop sur de vouloir rentrer 😬! … L’intérieur est … boueux. Très très boueux. Un marron lugubre recouvre le sol, les murs, les meubles et l’ensemble des objets qui ont chuté par terre. L’eau est montée à près d’un mètre cinquante et ça va être compliqué de sauver quoi que ce soit. Mais les fondations sont là : murs, toiture, baies vitrées, et même si la porte d’entrée ne ferme plus, elle est là aussi. L’étage est quasi-intact. On s’en sort bien…

J’ai déjà trop hâte d’être à demain pour enfin être active et commencer à nettoyer tout ça.
Le soir, c’est le (déjà célèbre) Friday-Night-à-Cul-de-Sac : dîner au BBQ (et bien arrosé) entres voisins, sur le parking. C’est l’avantage quand toutes les clôtures s’envolent : tout le monde se rencontre vraiment au lieu de se réfugier derrière son portail, avec ses défauts et ses qualités. Irma aura au moins réussi cela (contrairement à ce que les médias disaient!!) : faire tomber les barrières physiques et morales, et faire ressortir l’essentiel : la beauté de la nature à l’état pur mais aussi la beauté des relations humaines.

Et puis on est le 27 Octobre. BOOM. La semaine a filé comme une fusée.

Nettoyer la maison (sans eau courante, je précise car ça compte 😉), dénicher une voiture (merci Johann!!) car les nôtres ont coulé (merci Irma 😏), recherche de kayaks et autres biens de Caribbean Paddling dans le quartier de Cul de Sac, démarches administratives interminables mais sans le moindre succès… Les journées sont complètes! Mais la To Do List, elle, ne diminue jamais. Bien au contraire! Elle s’agrandit à chaque minute. On se lève tôt mais on se couche encore plus tôt, d’épuisement.
Parfois – souvent – nous sommes positifs et d’autres fois nous le sommes moins. Toutes ces décharges… partout, ces tonnes de tôles, ces innombrables objets de la vie quotidienne de chacun en partant du frigo, du canapé, jusqu’à la lampe de chevet, sans oublier les cadres photos, balais à chiotte, dossiers, fenêtres, volets, voitures… Bref tout ce que l’on peut accumuler au fil des années… Tout cela déposé en bord de route, éventré par des vents à 400 km/heure qui a fait l’effet d’une bombe atomique sur notre petit paradis.
Et puis toutes ces personnes que l’on rencontre (amis, famille, connaissances et autres) qui nous narrent leur contact avec Irma. Chacun raconte “son cyclone”. C’est d’ailleurs LA grande question : “alors comment ça s’est passé pour toi?” Et c’est très variable!

Il y a ceux qui ont tout perdu – ou presque – mais qui n’ont pas eu peur (raisonnablement du moins). Et puis il y a ceux qui ont tout perdu – ou presque – mais qui sont passés à deux doigts de perdre la Vie avec un grand V, aussi. Attachés à un poteau avec de l’eau jusqu’au coup, à 30 dans un studio à lutter contre un volet cyclonique sur le point de sauter car un container frappe de l’autre côté, à 5 dans un cagibi inondé car le reste de la maison… n’est plus, à se réfugier quelque part en plein cyclone car le logement n’a pas tenu… Et j’en passe. Il faudrait écrire un livre de recueil car ces histoires sont dignes des films catastrophes les plus terrifiants et toutes ces personnes en sont les héros. Des héros face à Irma, ce cyclone hors catégorie qui a fait trembler la terre, dans tous les sens du terme.

Et à côté de cela, la plus grande majorité de ces mêmes personnes est non seulement positive mais enjouée face à la reconstruction et à cette nouvelle vie, ravie d’être encore là, heureuse et fière d’appartenir à cette magnifique île de Saint-Martin à un moment clé de son histoire.

Et d’ailleurs parlons-en, de l’île! De l’île elle-même, pas des débris. Une nature verte et fleurissante, un camaïeu de bleus en guise de mer, des plages plus étendues que jamais avec un sable “blanc de blanc”… Un joyaux… Et rien que pour nous!! Oh chers touristes, on vous aime et on a tous hâte de vous voir revenir, ne vous méprenez pas! Mais c’est aussi tellement agréable de profiter de notre Friendly Island sans vous avoir dans les pattes 😘 Sans embouteillages (ou presque), sans transats sur les plages, sans jet ski dans les baies… Sans cette abondance de tout, tout le temps. C’est le retour au calme, la fin de la course au “toujours plus”… Pour un temps.

"

Alors autant en profiter, non ?

"

Allez, on se refait un petit saut dans le temps ? 
On est aujourd'hui le 6 Novembre.
Cela fait deux mois tout juste qu’Irma a payé sa visite à Saint-Martin (la prochaine fois, on ne lui ouvrira pas la porte!! ⛔). Il y a deux mois tout juste, nous étions au Pérou à vomir les images de désolation publiées partout et à mourir d’angoisse pour nos proches. Il y a deux mois tout juste, ceux qui étaient présents sur l’île vivaient l’enfer au “paradis”.

Pour moi, c’est à la fois comme si c’était hier et à des années lumières.

Par ici, la vie suit son cours. Les gens partent au travail le matin dans leur voiture cabossée et rentrent le soir dans leur maison abimée (pour les chanceux). Ils se retrouvent à déjeuner ou à dîner dans les restaurants qui ont réouverts (ou ailleurs), font la fête dans les “nouveaux” bars de plage, promènent leur chien les pieds dans le sable, font leurs courses au supermarché, emmènent leurs enfants à l’école… Petit à petit les décharges provisoires (à Cul de Sac, Grand-Case, Marigot…) sont nettoyées, les palmes des cocotiers repoussent, l’eau courante dans les foyers se rétablit durablement… C’est une vie au ralenti, mais un semblant de vie quand même.
Et comment es-tu arrivée là, toi ? Ça n'a pas l'air très confortable...
J’ai l’impression que le moral général de l’île est ultra changeant, et le mien le premier. C’est très facile de passer des rires aux larmes, de l’humour face à un “cadeau” d’Irma à l’abattement devant la montagne de lieux détruits et donc à reconstruire. En quelques minutes, je peux switcher d’un élan d’énergie et d’optimisme à l’impression que tout ça ne sert à rien. Une question revient souvent : mais par où commencer?

Alors quand on en a ras le bol, on embarque les paddle boards dans la benne et on file redécouvrir l’île post-Irma par la mer. Et là c’est plutôt chouette.
Quand je suis positive, je me dis que finalement cette année peut elle aussi être super chouette. Différente, mais chouette.

Et encore une fois, ça ne tient qu’à nous…!

Quoi d'autre ?

TOUT EST LÀ